« Deux procureurs » de Serguei Loznitsa *****

Sergueï Loznitsa, cinéaste ukrainien, a réalisé son film en partie en Lettonie dans une prison de Riga, d’après une nouvelle écrite en 1969 (redécouverte en 2009) par le physicien dissident et emprisonné au goulag, Georgy Demidov. Certains des acteurs, russes, ont quitté la Russie depuis l’invasion de l’Ukraine en 2022.

Le film est projeté dans un format carré, avec une caméra non mobile. Tout se passe et se dit à l’intérieur de différents plans fixes. Une musique burlesque rythme parfois l’histoire.

En 1937, en URSS, à Briansk (à près de 400 km au sud de Moscou), les portes d’une prison s’ouvrent. Un homme y est placé dans une cellule avec des dizaines de lettres à brûler. Ce sont les doléances auprès de Staline, de citoyens soviétiques injustement torturés et condamnés.

Plus tard, un homme se présente devant les portes de la prison. Le gardien le laisse entrer, sous les yeux las de dizaines de femmes vêtues de noir. C’est un jeune procureur idéaliste, Kornev (Aleksandr Kousnetsov), qui a, on ne sait comment, intercepté la lettre de doléances d’un certain Stepniak.

Le procureur Kornev ira jusqu’à Moscou chez le procureur général de Staline, Andreï Vychinski (qui a réellement existé), pour demander justice face aux excès du NKVD (les services secrets).

A partir du cas particulier fictif du détenu Stepniak, Loznitsa dissèque un mécanisme sans issue et permet une vision vertigineuse et glaçante du système soviétique, notamment de la terreur d’avant 1940.

C’est en virtuose qu’il filme le milieu carcéral, en faisant déambuler le jeune procureur de grille en grille, de porte en porte, de cour en cour ; chacune avec sa serrure et ses clés, ses gardiens aux airs bestiaux et ses murs décrépis verdâtres.

Qu’il filme l’imposant ministère de la justice, avec les fonctionnaires vêtus sombrement, les escaliers interminables, les anti-chambres bondées.

Qu’il filme les voyages en train, tantôt en 3ème classe avec des hommes mutilés et cabossés par la vie, ayant compris les failles de ce monde depuis longtemps ; tantôt en 1ère classe avec des compagnons visiblement sympathiques et éduqués, tenant des propos sibyllins.

Malgré le champ réduit (image carrée et plans fixes), le cinéaste trouve une liberté de ton remarquable pour dénoncer les ressorts d’une des pires dictatures du 20ème siècle.

Je suis contente que « Deux procureurs » soit projeté ici, il s’agit d’un de mes films préférés de cette année.

Sur le blog de Dasola, sur Le Tour d’écran, sur Christoblog.

Et sur Sens Critique.

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6 Responses to « Deux procureurs » de Serguei Loznitsa *****

  1. Avatar de princecranoir princecranoir dit :

    Bravo pour cette critique très favorable au film. Je crois qu’il restera aussi pour moi comme un des meilleurs vus cette année.
    En lisant, il m’a semblé que ce film était comme un voyage Immobile, avec un personnage enfermé dès qu’il passe la porte de la prison. Les deux passages en train sont formidables.
    Bonne journée Anne.

  2. Avatar de dasola dasola dit :

    Bonsoir Mariette, Deux procureurs est un film exceptionnel trop peu projetés dans les salles françaises. Même à Paris, il est sorti dans un circuit restreint. Bonne soirée.

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